Encore deux poèmes avant le bouquet final... Bonne lecture.
Au statuaire David
[...]
Les grands hommes, héros ou penseurs, - demi-dieux !
Tour à tour sur le peuple ont passé radieux,
Les uns armés d'un glaive et les autres d'un livre,
Ceux-ci montrant du doigt la route qu'il faut suivre,
Ceux-là forçant la cause à sortir de l'effet ;
L'artiste ayant un rêve et le savant un fait ;
L'un a trouvé l'aimant, la presse, la boussole,
L'autre un monde où l'on va, l'autre un vers qui console.
[...]
- Le sculpteur ébloui contemple ces figures ! -
Il songe à la patrie, aux tombeaux solennels,
Aux cités à remplir d'exemples éternels ;
Et voici que déjà, vision magnifique !
Mollement éclairés d'un reflet pacifique,
Grandissant hors du sol de moment en moment,
De vagues bas-reliefs chargés confusément,
Au fond de son esprit, que la pensée encombre,
Les énormes frontons apparaissent dans l'ombre !
N'est-ce pas ? c'est ainsi qu'en ton cerveau, sans bruit,
L'édifice s'ébauche et l'oeuvre se construit ?
C'est là ce qui se passe en ta grande âme émue
Quand tout un panthéon ténébreux s'y remue ?
C'est ainsi, n'est-ce pas, ô maître ? que s'unit
L'homme à l'architecture et l'idée au granit ?
Oh ! qu'en ces instants-là ta fonction est haute !
Au seuil de ton fronton tu reçois comme un hôte
Ces hommes plus qu'humains. Sur un bloc de Paros
Tu t'assieds face à face avec tous ces héros.
Et là, devant tes yeux qui jamais ne défaillent,
Ces ombres, qui seront bronze et marbre, tressaillent.
L'avenir est à toi, ce but de tous les voeux,
Et tu peux le donner, ô maître, à qui tu veux !
Toi, répandant sur tous ton équité complète,
Prêtre autant que sculpteur, juge autant que poëte,
Accueillant celui-ci, rejetant celui-là,
Louant Napoléon, gourmandant Attila,
Parfois grandissant l'un par le contact de l'autre,
Dérangeant le guerrier pour mieux placer l'apôtre,
Tu fais des Dieux ! - tu dis, abaissant ta hauteur,
Au pauvre vieux soldat, à l'humble vieux pasteur :
- Entrez ; je vous connais. Vos couronnes sont prêtes.
Et tu dis à des rois : - Je ne sais qui vous êtes.
Car il ne suffit point d'avoir été des rois,
D'avoir porté le sceptre, et le globe, et la croix,
Pour que le fier poëte et l'altier statuaire
Etoilent dans sa nuit votre drap mortuaire,
Et des hauts panthéons vous ouvrent les chemins.
C'est vous-mêmes, ô rois, qui de vos propres mains
Bâtissez sur vos noms ou la gloire ou la honte !
[...]
Les actions qu'on fait ont des lèvres d'airain.
[...]
Maintenant, toi qui vas hors des routes tracées,
O pétrisseur de bronze, ô mouleur de pensées,
Considère combien les hommes sont petits,
Et maintiens-toi superbe au-dessus des partis.
Garde la dignité de ton ciseau sublime.
Ne laisse pas toucher ton marbre par la lime
Des sombres passions qui rongent tant d'esprits.
Michel-Ange avait Rome et David a Paris.
Donne donc à ta ville, ami, ce grand exemple
Que, si les marchands vils n'entrent pas dans le temple,
Les fureurs des tribuns et leur songe abhorré
N'entrent pas dans le coeur de l'artiste sacré !
Refuse aux cours ton art, donne au peuple tes veilles,
C'est bien, ô mon sculpteur ! mais loin de tes oreilles
Chasse ceux qui s'en vont flattant les carrefours,
Toi, dans ton atelier tu dois rêver toujours,
Et, de tout vice humain écrasant la couleuvre,
Toi-même par degrés t'éblouir de ton oeuvre !
Ce que ces hommes-là font dans l'ombre ou défont
Ne vaut pas ton regard levé vers le plafond
Cherchant la beauté pure et le grand et le juste.
Leur mission est basse et la tienne est auguste.
Et qui donc oserait mêler un seul moment
Aux mêmes visions, au même aveuglement,
Aux mêmes voeux haineux, insensés ou féroces,
Eux, esclaves des nains, toi, père des colosses !
avril 1840
XXIV
Quand tu me parles de gloire,
Je souris amèrement.
Cette voix que tu veux croire,
Moi, je sais bien qu'elle ment.
La gloire est vite abattue.
L'envie au sanglant flambeau
N'épargne cette statue
Qu'assise au seuil d'un tombeau.
La prospérité s'envole,
Le pouvoir tombe et s'enfuit.
Un peu d'amour qui console
Vaut mieux et fait moins de bruit.
Je ne veux pas d'autres choses
Que ton sourire et ta voix,
De l'air, de l'ombre et des roses,
Et des rayons dans les bois !
Je ne veux, moi qui me voile
Dans la joie ou la douleur,
Que ton regard, mon étoile !
Que ton haleine, ô ma fleur !
Sous ta paupière vermeille
Qu'inonde un céleste jour,
Tout un univers sommeille.
Je n'y cherche que l'amour !
Ma pensée, urne profonde,
Vase à la douce liqueur,
Qui pourrait emplir le monde,
Ne veut emplir que ton coeur !
Chante ! en moi l'extase coule.
Ris-moi ! c'est mon seul besoin.
Que m'importe cette foule
Qui fait sa rumeur au loin !
Dans l'ivresse où tu me plonges,
En vain, pour briser nos noeuds,
Je vois passer dans mes songes
Les poëtes lumineux !
Je veux, quoi qu'ils me conseillent,
Préférer, jusqu'à la mort,
Aux fanfares qui m'éveillent
Ta chanson qui me rendort.
Je veux, dût mon nom suprême
Au front des cieux s'allumer,
Qu'une moitié de moi-même
Reste ici-bas pour t'aimer !
Laisse-moi t'aimer dans l'ombre,
Triste, ou du moins sérieux.
La tristesse est un lieu sombre
Où l'amour rayonne mieux.
Ange aux yeux pleins d'étincelles,
Femme aux jours de pleurs noyés,
Prends mon âme sur tes ailes,
Laisse mon coeur à tes pieds !
12 octobre 1837