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  • : Le blog de Satine
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Coucher-de-soleil.jpg
Oh toi visiteur, amateur de poésie,

Que ta curiosité a mené jusqu’ici,
Laisse-toi naviguer au gré de tes envies
Parcours tout ce qui gravite autour de ma vie.
  Ce ne sont que des essais couchés sur papier,
Une partie de moi qui voulait s’exprimer,
Des mots que je ne pouvais laisser enfermés,
C’est tellement beau de les entendre chanter…
  Flotte sur les méandres de mes sentiments,
Partage rires et peines, vole à mes vents,
Vogue sur mes larmes lourdes comme une enclume
  Pour que ton cœur palpite au rythme de ma plume.


15 novembre 2017 3 15 /11 /novembre /2017 00:59

L'amour paternel dans toute sa splendeur ! De joyeux souvenirs bercés par tant de mélancolie mais aussi de bonheur... 

 

 

 

VI

 

Quand nous habitions tous ensemble

Sur nos collines d'autrefois,

Où l'eau court, où le buisson tremble,

Dans la maison qui touche aux bois,

 

Elle avait dix ans, et moi trente ;

J'étais pour elle l'univers.

Oh ! comme l'herbe est odorante

Sous les arbres profonds et verts !

 

Elle faisait mon sort prospère,

Mon travail léger, mon ciel bleu.

Lorsqu'elle me disait : Mon père,

Tout mon coeur s'écriait : Mon Dieu !

 

A travers mes songes sans nombre,

J'écoutais son parler joyeux,

Et mon front s'éclairait dans l'ombre

A la lumière de ses yeux.

 

Elle avait l'air d'une princesse

Quand je la tenais par la main. 

Elle cherchait des fleurs sans cesse

Et des pauvres dans le chemin.

 

Elle donnait comme on dérobe,

En se cachant aux yeux de tous.

Oh ! la belle petite robe

Qu'elle avait, vous rappelez-vous ?

 

Le soir, auprès de ma bougie,

Elle jasait à petit bruit,

Tandis qu'à la vitre rougie

Heurtaient les papillons de nuit.

 

Les anges se miraient en elle.

Que son bonjour était charmant !

Le ciel mettait dans sa prunelle

Ce regard qui jamais ne ment.

 

Oh! je l'avais, si jeune encore,

Vue apparaître en mon destin !

C'était l'enfant de mon aurore,

Et mon étoile du matin !

 

Quand la lune claire et sereine

Brillait aux cieux, dans ces beaux mois,

Comme nous allions dans la plaine !

Comme nous courions dans les bois !

 

Puis, vers la lumière isolée

Etoilant le logis obscur,

Nous revenions par la vallée

En tournant le coin du vieux mur ;

 

Nous revenions, coeurs pleins de flamme,

En parlant des splendeurs du ciel.

Je composais cette jeune âme

Comme l'abeille fait son miel.

 

Doux ange aux candides pensées,

Elle était gaie en arrivant... -

Toutes ces choses sont passées

Comme l'ombre et comme le vent !

                                   Villequier 4 septembre 1844.

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15 octobre 2017 7 15 /10 /octobre /2017 01:45

Deux textes poignants sur la souffrance d'un père qui a perdu sa fille...

 

 

 

IV

 

Oh ! je fus comme fou dans le premier moment,

Hélas ! et je pleurai trois jours amèrement.

Vous tous à qui Dieu prit votre chère espérance,

Pères, mères, dont l'âme a souffert ma souffrance,

Tout ce que j'éprouvais, l'avez-vous éprouvé ?

Je voulais me briser le front sur le pavé ;

Puis je me révoltais, et, par moments, terrible,

Je fixais mes regards sur cette chose horrible,

Et je n'y croyais pas, et je m'écriais : Non !

- Est-ce que Dieu permet de ces malheurs sans nom

Qui font que dans le coeur le désespoir se lève ? -

Il me semblait que tout n'était qu'un affreux rêve,

Qu'elle ne pouvait pas m'avoir ainsi quitté,

Que je l'entendais rire en la chambre à côté,

Que c'était impossible enfin qu'elle fût morte,

Et que j'allais la voir entrer par cette porte !

 

Oh ! que de fois j'ai dit : Silence ! elle a parlé !

Tenez ! voici le bruit de sa main sur la clé !

Attendez ! elle vient ! laissez-moi, que j'écoute !

Car elle est quelque part dans la maison sans doute !

                                   Jersey, Marine-Terrace, 4 septembre 1852.

 

V

 

Elle avait pris ce pli dans son âge enfantin

De venir dans ma chambre un peu chaque matin ;

Je l'attendais ainsi qu'un rayon qu'on espère ;

Elle entrait et disait : Bonjour, mon petit père ;

Prenait ma plume, ouvrait mes livres, s'asseyait

Sur mon lit, dérangeait mes papiers, et riait,

Puis soudain s'en allait comme un oiseau qui passe.

Alors, je reprenais, la tête un peu moins lasse,

Mon oeuvre interrompue, et, tout en écrivant,

Parmi mes manuscrits je rencontrais souvent

Quelque arabesque folle et qu'elle avait tracée,

Et mainte page blanche entre ses mains froissée

Où, je ne sais comment, venaient mes plus doux vers

Elle aimait Dieu, les fleurs, les astres, les prés verts,

Et c'était un esprit avant d'être une femme.

Son regard reflétait la clarté de son âme.

Elle me consultait sur tout à tous moments.

Oh ! que de soirs d'hiver radieux et charmants,

Passés à raisonner langue, histoire et grammaire,

Mes quatre enfants groupés sur mes genoux, leur mère

Tout près, quelques amis causant au coin du feu !

J'appelais cette vie être content de peu !

Et dire qu'elle est morte ! hélas ! que Dieu m'assiste !

Je n'étais jamais gai quand je la sentais triste ;

J'étais morne au milieu du bal le plus joyeux

Si j'avais, en partant, vu quelque ombre en ses yeux.

                                   Novembre 1846, jour des morts.

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15 septembre 2017 5 15 /09 /septembre /2017 01:29

Place à deux poèmes dédiés à sa fille disparue, ils sont aussi touchant l'un que l'autre, bonne lecture. Le premier devrait ravir tous les pères et les réconforter en même temps....

 

 

15 février 1843

Aime celui qui t'aime, et sois heureuse en lui.

- Adieu! - sois son trésor, ô toi qui fus le nôtre!

Va, mon enfant béni, d'une famille à l'autre.

Emporte le bonheur et laisse-nous l'ennui !

 

Ici, l'on te retient ; là-bas, on te désire.

Fille, épouse, ange, enfant, fais ton double devoir.

Donne-nous un regret, donne-leur un espoir,

Sors avec une larme ! entre avec un sourire !

                                   Dans l'église, 15 février 1843.

 

Trois ans après

 

Il est temps que je me repose ;

Je suis terrassé par le sort.

Ne me parlez pas d'autre chose

Que des ténèbres où l'on dort !

 

Que veut-on que je recommence ?

Je ne demande désormais

A la création immense

Qu'un peu de silence et de paix!

 

Pourquoi m'appelez-vous encore ?

J'ai fait ma tâche et mon devoir.

Qui travaillait avant l'aurore,

Peut s'en aller avant le soir.

 

A vingt ans, deuil et solitude !

Mes yeux, baissés vers le gazon,

Perdirent la douce habitude

De voir ma mère à la maison.

 

Elle nous quitta pour la tombe ;

Et vous savez bien qu'aujourd'hui

Je cherche, en cette nuit qui tombe,

Un autre ange qui s'est enfui !

 

Vous savez que je désespère,

Que ma force en vain se défend,

Et que je souffre comme père,

Moi qui souffris tant comme enfant !

 

Mon oeuvre n'est pas terminée,

Dites-vous. Comme Adam banni,

Je regarde ma destinée

Et je vois bien que j'ai fini.

 

L'humble enfant que Dieu m'a ravie

Rien qu'en m'aimant savait m'aider ;

C'était le bonheur de ma vie

De voir ses yeux me regarder.

 

Si ce Dieu n'a pas voulu clore

L'oeuvre qu'il me fit commencer,

S'il veut que je travaille encore,

Il n'avait qu'à me la laisser !

 

Il n'avait qu'à me laisser vivre

Avec ma fille à mes côtés,

Dans cette extase où je m'enivre

De mystérieuses clartés !

 

Ces clartés, jour d'une autre sphère,

O Dieu jaloux, tu nous les vends !

Pourquoi m'as-tu pris la lumière

Que j'avais parmi les vivants ?

 

As-tu donc pensé, fatal maître,

Qu'à force de te contempler,

Je ne voyais plus ce doux être,

Et qu'il pouvait bien s'en aller ?

 

T'es-tu dit que l'homme, vaine ombre,

Hélas ! perd son humanité

A trop voir cette splendeur sombre

Qu'on appelle la vérité ?

 

Qu'on peut le frapper sans qu'il souffre,

Que son coeur est mort dans l'ennui,

Et qu'à force de voir le gouffre,

Il n'a plus qu'un abîme en lui ?

 

Qu'il va, stoïque, où tu l'envoies,

Et que désormais, endurci,

N'ayant plus ici-bas de joies,

Il n'a plus de douleurs aussi ?

 

As-tu pensé qu'une âme tendre

S'ouvre à toi pour se mieux fermer,

Et que ceux qui veulent comprendre

Finissent par ne plus aimer ?

 

O Dieu ! vraiment, as-tu pu croire

Que je préférais, sous les cieux,

L'effrayant rayon de ta gloire

Aux douces lueurs de ses yeux !

 

Si j'avais su tes lois moroses,

Et qu'au même esprit enchanté

Tu ne donnes point ces deux choses,

Le bonheur et la vérité,

 

Plutôt que de lever tes voiles,

Et de chercher, coeur triste et pur,

A te voir au fond des étoiles,

O Dieu sombre d'un monde obscur,

 

J'eusse aimé mieux, loin de ta face,

Suivre, heureux, un étroit chemin,

Et n'être qu'un homme qui passe

Tenant son enfant par la main !

 

Maintenant, je veux qu'on me laisse !

J'ai fini ! le sort est vainqueur.

Que vient-on rallumer sans cesse

Dans l'ombre qui m'emplit le coeur ?

 

Vous qui me parlez, vous me dites

Qu'il faut, rappelant ma raison,

Guider les foules décrépites

Vers les lueurs de l'horizon ;

 

Qu'à l'heure où les peuples se lèvent,

Tout penseur suit un but profond ;

Qu'il se doit à tous ceux qui rêvent,

Qu'il se doit à tous ceux qui vont !

 

Qu'une âme, qu'un feu pur anime,

Doit hâter, avec sa clarté,

L'épanouissement sublime

De la future humanité ;

 

Qu'il faut prendre part, coeurs fidèles,

Sans redouter les océans,

Aux fêtes des choses nouvelles,

Aux combats des esprits géants !

 

Vous voyez des pleurs sur ma joue,

Et vous m'abordez mécontents,

Comme par le bras on secoue

Un homme qui dort trop longtemps.

 

Mais songez à ce que vous faites !

Hélas ! cet ange au front si beau,

Quand vous m'appelez à vos fêtes,

Peut-être a froid dans son tombeau.

 

Peut-être, livide et pâlie,

Dit-elle dans son lit étroit :

- Est-ce que mon père m'oublie

Et n'est plus là, que j'ai si froid ?-

 

Quoi ! lorsqu'à peine je résiste

Aux choses dont je me souviens,

Quand je suis brisé, las et triste,

Quand je l'entends qui me dit : Viens!

 

Quoi! vous voulez que je souhaite,

Moi, plié par un coup soudain,

La rumeur qui suit le poëte,

Le bruit que fait le paladin !

 

Vous voulez que j'aspire encore

Aux triomphes doux et dorés !

Que j'annonce aux dormeurs l'aurore !

Que je crie: Allez ! espérez !

 

Vous voulez que, dans la mêlée,

Je rentre ardent parmi les forts,

Les yeux à la voûte étoilée... -

Oh ! l'herbe épaisse où sont les morts !

                                   10 novembre 1846.

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15 août 2017 2 15 /08 /août /2017 08:27

Un premier poème totalement poignant dont la fin ne vous laissera pas de marbre, donc même si la tristesse s'empare de vous, trouvez le courage de le lire jusqu'au bout... Le second est plus subtil. Bonne lecture !

 

 

Le revenant

 

Mères en deuil, vos cris là-haut sont entendus. 
Dieu, qui tient dans sa main tous les oiseaux perdus, 
Parfois au même nid rend la même colombe. 
Ô mères ! le berceau communique à la tombe. 
L'éternité contient plus d'un divin secret. 

La mère dont je vais vous parler demeurait 
À Blois ; je l'ai connue en un temps plus prospère ; 
Et sa maison touchait à celle de mon père. 
Elle avait tous les biens que Dieu donne ou permet. 
On l'avait mariée à l'homme qu'elle aimait. 
Elle eut un fils ; ce fut une ineffable joie. 

Ce premier-né couchait dans un berceau de soie ; 
Sa mère l'allaitait ; il faisait un doux bruit 
À côté du chevet nuptial ; et, la nuit, 
La mère ouvrait son âme aux chimères sans nombre, 
Pauvre mère, et ses yeux resplendissaient dans l'ombre 
Quand, sans souffle, sans voix, renonçant au sommeil, 
Penchée, elle écoutait dormir l'enfant vermeil. 
Dès l'aube, elle chantait, ravie et toute fière. 

Elle se renversait sur sa chaise en arrière, 
Son fichu laissant voir son sein gonflé de lait, 
Et souriait au faible enfant, et l'appelait 
Ange, trésor, amour ; et mille folles choses. 
Oh ! comme elle baisait ces beaux petits pieds roses ! 
Comme elle leur parlait ! L'enfant, charmant et nu, 
Riait, et par se mains sous les bras soutenu, 
Joyeux, de ses genoux montait jusqu'à sa bouche. 

Tremblant comme le daim qu'une feuille effarouche, 
Il grandit. Pour l'enfant, grandir, c'est chanceler. 
Il se mit à marcher, il se mit à parler. 
Il eut trois ans ; doux âge, où déjà la parole, 
Comme le jeune oiseau, bat de l'aile et s'envole. 
Et la disait :  Mon fils ! - et reprenait : 
- Voyez comme il est grand ! Il apprend ; il connaît 
Ses lettres. C'est un diable ! Il veut que je l'habille 
En homme ; il ne veut plus de ses robes de fille. 
C'est déjà très méchant, ces petits hommes-là ! 
C'est égal, il lit bien ; il ira loin ; il a 
De l'esprit ; je lui fais épeler l'Évangile.- 
Et ses yeux adoraient cette tête fragile, 
Et, femme heureuse, et mère au regard triomphant, 
Elle sentait son coeur battre dans son enfant. 

Un jour, - nous avons tous de ces dates funèbres ! - 
Le croup, monstre hideux, épervier des ténèbres, 
Sur la blanche maison brusquement s'abattit, 
Horrible, et, se ruant sur le pauvre petit, 
Le saisit à la gorge. O noire maladie ! 
De l'air par qui l'on vit sinistre perfidie ! 
Qui n'a vu se débattre, hélas, ces doux enfants 
Qu'étreint le croup féroce en ses doigts étouffants ! 
Ils luttent ; l'ombre emplit lentement leurs yeux d'ange, 
Et de leur bouche froide il sort un râle étrange, 
Et si mystérieux, qu'il semble qu'on entend, 
Dans leur poitrine, où meurt le souffle haletant, 
L'affreux coq du tombeau chanter son aube obscure. 
Tel qu'un fruit qui du givre a senti la piqûre, 
L'enfant mourut. La mort entra comme un voleur 
Et le prit. - Une mère, un père, la douleur, 
Le noir cercueil, le front qui se heurte aux murailles, 
Les lugubres sanglots qui sortent des entrailles, 
Oh ! la parole expire où commence le cri ; 
Silence aux mots humains ! 

                                   La mère au coeur meurtri, 
Pendant qu'à ses côtés pleurait le père sombre, 
Resta trois mois sinistre, immobile dans l'ombre, 
L'oeil fixe, murmurant on ne sait quoi d'obscur, 
Et regardant toujours le même angle du mur. 
Elle ne mangeait pas ; sa vie était sa fièvre ; 
Elle ne répondait à personne ; sa lèvre 
Tremblait ; on l'entendait, avec un morne effroi, 
Qui disait à voix basse à quelqu'un : Rends-le moi ! 
Et le médecin dit au père : Il faut distraire 
Ce coeur triste, et donner à l'enfant mort un frère.-
Le temps passa ; les jours, les semaines, les mois. 

Elle se sentit mère une seconde fois. 

Devant le berceau froid de son ange éphémère, 
Se rappelant l'accent dont il disait : - Ma mère,-
Elle songeait, muette, assise sur son lit. 
Le jour où, tout à coup, dans son flanc tressaillit 
L'être inconnu promis à notre aube mortelle, 
Elle pâlit. - Quel est cet étranger ? dit-elle. 
Puis elle cria, sombre et tombant à genoux : 
- Non, non, je ne veux pas ! non ! tu serais jaloux ! 
Ô mon doux endormi, toi que la terre glace, 
Tu dirais : On m'oublie ; un autre a pris ma place ; 
Ma mère l'aime, et rit ; elle le trouve beau, 
Elle l'embrasse, et, moi, je suis dans mon tombeau ! 
Non, non !-

                        Ainsi pleurait cette douleur profonde. 

Le jour vint ; elle mit un autre enfant au monde, 
Et le père joyeux cria : C'est un garçon. 
Mais le père était seul joyeux dans la maison ; 
La mère restait morne, et la pâle accouchée, 
Sur l'ancien souvenir tout entière penchée, 
Rêvait ; on lui porta l'enfant sur un coussin ; 
Elle se laissa faire et lui donna le sein ; 
Et tout à coup, pendant que, farouche, accablée, 
Pensant au fils nouveau moins qu'à l'âme envolée, 
Hélas ! et songeant moins aux anges qu'au linceul, 
Elle disait : Cet ange en son sépulcre est seul ! 
- Ô doux miracle ! ô mère au bonheur revenue !- 
Elle entendit, avec une voix bien connue, 
Le nouveau-né parler dans l'ombre entre ses bras, 
Et tout bas murmurer : C'est moi. Ne le dis pas.

                                   Août 1843

 

 

I

Pure Innocence ! Vertu sainte !

O les deux sommets d'ici-bas !

Où croissent, sans ombre et sans crainte,

Les deux palmes des deux combats !

 

Palme du combat Ignorance !

Palme du combat Vérité !

L'âme, à travers sa transparence,

Voit trembler leur double clarté.

 

Innocence ! Vertu ! sublimes

Même pour l'oeil mort du méchant !

On voit dans l'azur ces deux cimes,

L'une au levant, l'autre au couchant.

 

Elles guident la nef qui sombre ;

L'une est phare, et l'autre est flambeau ;

L'une a le berceau dans son ombre,

L'autre en son ombre a le tombeau.

 

C'est sous la terre infortunée

Que commence, obscure à nos yeux,

La ligne de la destinée ;

Elles l'achèvent dans les cieux.

 

Elles montrent, malgré les voiles

Et l'ombre du fatal milieu,

Nos âmes touchant les étoiles

Et la candeur mêlée au bleu.

 

Elles éclairent les problèmes ;

Elles disent le lendemain ;

Elles sont les blancheurs suprêmes

De tout le sombre gouffre humain.

 

L'archange effleure de son aile

Ce faîte où Jéhovah s'assied ;

Et sur cette neige éternelle

On voit l'empreinte d'un seul pied.

 

Cette trace qui nous enseigne,

Ce pied blanc, ce pied fait de jour,

Ce pied rose, hélas ! car il saigne,

Ce pied nu, c'est le tien, amour !

                                   Janvier 1843.

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15 juillet 2017 6 15 /07 /juillet /2017 16:28

Encore un texte poignant de notre illustre Hugo....

Certes ce n'est pas le printemps, certes il fait beau et chaud mais même si ce texte prend aux tripes, il vaut le coup d'être lu et vécu...

 

 

 

Chose vue un jour de printemps

 

Entendant des sanglots, je poussai cette porte.


Les quatre enfants pleuraient et la mère était morte.
Tout dans ce lieu lugubre effrayait le regard.
Sur le grabat gisait le cadavre hagard ;
C’était déjà la tombe et déjà le fantôme.
Pas de feu ; le plafond laissait passer le chaume.
Les quatre enfants songeaient comme quatre vieillards.
On voyait, comme une aube à travers des brouillards,
Aux lèvres de la morte un sinistre sourire ;
Et l’aîné, qui n’avait que six ans, semblait dire :
Regardez donc cette ombre où le sort nous a mis !

Un crime en cette chambre avait été commis.
Ce crime, le voici : – Sous le ciel qui rayonne,
Une femme est candide, intelligente, bonne ;
Dieu, qui la suit d’en haut d’un regard attendri,
La fit pour être heureuse. Humble, elle a pour mari
Un ouvrier ; tous deux, sans aigreur, sans envie,
Tirent d’un pas égal le licou de la vie.
Le choléra lui prend son mari ; la voilà
Veuve avec la misère et quatre enfants qu’elle a.
Alors, elle se met au labeur comme un homme.
Elle est active, propre, attentive, économe ;
Pas de drap à son lit, pas d’âtre à son foyer ;
Elle ne se plaint pas, sert qui veut l’employer,
Ravaude de vieux bas, fait des nattes de paille,
Tricote, file, coud, passe les nuits, travaille
Pour nourrir ses enfants ; elle est honnête enfin.
Un jour, on va chez elle, elle est morte de faim.
Oui, les buissons étaient remplis de rouges-gorges ;
Les lourds marteaux sonnaient dans la lueur des forges ;
Les masques abondaient dans les bals, et partout
Les baisers soulevaient la dentelle du loup ;
Tout vivait ; les marchands comptaient de grosses sommes ;
On entendait rouler les chars, rire les hommes ;
Les wagons ébranlaient les plaines ; le steamer
Secouait son panache au-dessus de la mer ;
Et, dans cette rumeur de joie et de lumière,
Cette femme étant seule au fond de sa chaumière,
La faim, goule effarée aux hurlements plaintifs,
Maigre et féroce, était entrée à pas furtifs,
Sans bruit, et l’avait prise à la gorge, et tuée.

La faim, c’est le regard de la prostituée,
C’est le bâton ferré du bandit, c’est la main
Du pâle enfant volant un pain sur le chemin,
C’est la fièvre du pauvre oublié, c’est le râle
Du grabat naufragé dans l’ombre sépulcrale.
Ô Dieu ! la sève abonde, et, dans ses flancs troublés,
La terre est pleine d’herbe et de fruits et de blés ;
Dès que l’arbre a fini, le sillon recommence ;
Et, pendant que tout vit, ô Dieu, dans ta clémence,
Que la mouche connaît la feuille du sureau,
Pendant que l’étang donne à boire au passereau,
Pendant que le tombeau nourrit les vautours chauves,
Pendant que la nature, en ses profondeurs fauves,
Fait manger le chacal, l’once et le basilic,
L’homme expire ! – Oh ! la faim, c’est le crime public.
C’est l’immense assassin qui sort de nos ténèbres.

Dieu ! pourquoi l’orphelin, dans ses langes funèbres,
Dit-il : J’ai faim ! L’enfant, n’est-ce pas un oiseau ?
Pourquoi le nid a-t-il ce qui manque au berceau ?
                                   Avril 1840.

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15 juin 2017 4 15 /06 /juin /2017 01:25

A vos bons souvenirs mesdames et messieurs, les bancs de l'école résonnent-ils encore dans vos mémoires ? Quelles images, quelles émotions en gardez-vous ? De quel enseignant vous souvenez-vous en bien ou en mal ?

Petit poème cher à mon coeur, bonne lecture et bon retour dans le passé...

 

 

Le maître d'études

 

Ne le tourmentez pas, il souffre. Il est celui
Sur qui, jusqu'à ce jour, pas un rayon n'a lui ;
Oh ! ne confondez pas l'esclave avec le maître !

[...]

Apprenez à connaître, enfants qu'attend l'effort,
Les inégalités des âmes et du sort ;
Respectez-le deux fois, dans le deuil qui le mine,
Puisque de deux sommets, enfant, il vous domine,
Puisqu'il est le plus pauvre et qu'il est le plus grand.
Songez que, triste, en butte au souci dévorant,
À travers ses douleurs, ce fils de la chaumière
Vous verse la raison, le savoir, la lumière,
Et qu'il vous donne l'or, et qu'il n'a pas de pain.
Oh ! dans la longue salle aux tables de sapin,
Enfants, faites silence à la lueur des lampes !
Voyez, la morne angoisse a fait blêmir ses tempes.
Songez qu'il saigne, hélas ! sous ses pauvres habits.
L'herbe que mord la dent cruelle des brebis,
C'est lui ; vous riez, vous, et vous lui rongez l'âme.
Songez qu'il agonise, amer, sans air, sans flamme ;
Que sa colère dit : Plaignez-moi ; que ses pleurs
Ne peuvent pas couler devant vos yeux railleurs !
Aux heures du travail votre ennui le dévore,
Aux heures du plaisir vous le rongez encore ;
Sa pensée, arrachée et froissée, est à vous,
Et, pareille au papier qu'on distribue à tous,
Page blanche d'abord, devient lentement noire.
Vous feuilletez son coeur, vous videz sa mémoire ;
Vos mains, jetant chacune un bruit, un trouble, un mot,
Et raturant l'idée en lui dès qu'elle éclôt,
Toutes en même temps dans son esprit écrivent.
Si des rêves, parfois, jusqu'à son front arrivent,
Vous répandez votre encre à flots sur cet azur ;
Vos plumes, tas d'oiseaux hideux au vol obscur,
De leurs mille becs noirs lui fouillent la cervelle.
Le nuage d'ennui passe et se renouvelle.
Dormir, il ne le peut ; penser, il ne le peut.
Chaque enfant est un fil dont son coeur sent le noeud.
Oui, s'il veut songer, fuir, oublier, franchir l'ombre,
Laisser voler son âme aux chimères sans nombre,
Ces écoliers joueurs, vifs, légers et doux, aimants,
Pèsent sur lui, de l'aube au soir, à tous moments,
Et le font retomber des voûtes immortelles ;
Et tous ces papillons sont le plomb de ses ailes.
Saint et grave martyr changeant de chevalet,
Crucifié par vous, bourreaux charmants, il est
Votre souffre-douleurs et votre souffre-joies ;
Ses nuits sont vos hochets et ces jours sont vos proies ;
Il porte sur son front votre essaim orageux ;
Il a toujours vos bruits, vos rires et vos jeux
Tourbillonnant sur lui comme une âpre tempête.
Hélas ! il est le deuil dont vous êtes la fête ;
Hélas ! il est le cri dont vous êtes le chant.

Et, qui sait ? sans rien dire, austère, et se cachant
De sa bonne action comme d'une mauvaise,
Ce pauvre être qui rêve accoudé sur sa chaise,
Mal nourri, mal vêtu, qu'un mendiant plaindrait,
Peut-être a des parents qu'il soutient en secret,
Et fait de ses labeurs, de sa faim, de ses veilles,
Des siècles dont sa voix vous traduit les merveilles,
Et de cette sueur qui coule sur sa chair,
Des rubans au printemps, un peu de feu l'hiver,
Pour quelque jeune soeur ou quelque vieille mère ;
Changeant en goutte d'eau la sombre larme amère ;
De sorte que, vivant à son ombre sans bruit,
Une colombe vient la boire dans la nuit !
Songez que pour cette oeuvre, enfants, il se dévoue,
Brûle ses yeux, meurtrit son coeur, tourne la roue,
Traîne la chaîne ! Hélas, pour lui, pour son destin,
Pour ses espoirs perdus à l'horizon lointain,
Pour ses voeux, pour son âme aux fers, pour sa prunelle,
Votre cage d'un jour est prison éternelle !
Songez que c'est sur lui que marchent tous vos pas !
Songez qu'il ne rit pas, songez qu'il ne vit pas !
L'avenir, cet avril plein de fleurs, vous convie ;
Vous vous envolerez demain en pleine vie ;
Vous sortirez de l'ombre, il restera. Pour lui,
Demain sera muet et sourd comme aujourd'hui ;
Demain, même en juillet, sera toujours décembre,
Toujours l'étroit préau, toujours la pauvre chambre,
Toujours le ciel glacé, gris, blafard, pluvieux ;
Et, quand vous serez grands, enfants, il sera vieux.
Et, si quelque heureux vent ne souffle et ne l'emporte,
Toujours il sera là, seul sous la sombre porte,
Gardant les beaux enfants sous ce mur redouté,
Ayant tout de leur peine et rien de leur gaîté.
Oh ! que votre pensée aime, console, encense
Ce sublime forçat du bagne d'innocence !
Pesez ce qu'il prodigue avec ce qu'il reçoit.
Oh ! qu'il se transfigure à vos yeux, et qu'il soit
Celui qui vous grandit, celui qui vous élève,
Qui donne à vos raisons les deux tranchants du glaive,
Art et science, afin qu'en marchant au tombeau,
Vous viviez pour le vrai, vous luttiez pour le beau !
Oh ! qu'il vous soit sacré dans cette tâche auguste
De conduire à l'utile, au sage, au grand, au juste,
Vos âmes en tumulte à qui le ciel sourit !
Quand les coeurs sont troupeau, le berger est esprit.

[...]

                                   Novembre 1840

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15 mai 2017 1 15 /05 /mai /2017 02:31

Une déclaration poignante, réconfortante quand aucun mot ne peut soulager le mal...

 

A la mère de l'enfant mort

 

Oh ! vous aurez trop dit au pauvre petit ange
            Qu'il est d'autres anges là -haut,
Que rien ne souffre au ciel, que jamais rien n'y change,
            Qu'il est doux d'y rentrer bientôt ;

Que le ciel est un dôme aux merveilleux pilastres,
            Une tente aux riches couleurs,
Un jardin bleu rempli de lis qui sont des astres
            Et d'étoiles qui sont des fleurs ;

Que c'est un lieu joyeux plus qu'on ne saurait dire,
            Où toujours, se laissant charmer,
On a les chérubins pour jouer et pour rire,
            Et le bon Dieu pour nous aimer ;

Qu'il est doux d'être un coeur qui brûle comme un cierge,
            Et de vivre, en toute saison,
Près de l'enfant Jésus et de la sainte Vierge
            Dans une si belle maison !

Et puis vous n'aurez pas assez dit, pauvre mère,
            A ce fils si frêle et si doux,
Que vous étiez à lui dans cette vie amère,
            Mais aussi qu'il était à vous ;

Que, tant qu'on est petit, la mère sur nous veille,
            Mais que plus tard on la défend ;
Et qu'elle aura besoin, quand elle sera vieille,
            D'un homme qui soit son enfant ;

Vous n'aurez point assez dit à cette jeune âme
            Que Dieu veut qu'on reste ici-bas,
La femme guidant l'homme et l'homme aidant la femme,
            Pour les douleurs et les combats ;

Si bien qu'un jour, ô deuil ! irréparable perte !
            Le doux être s'en est allé !... -
Hélas ! vous avez donc laissé la cage ouverte,
            Que votre oiseau s'est envolé !

                                   Avril 1843

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15 avril 2017 6 15 /04 /avril /2017 01:20

Un long et déchirant poème vous attend ici, je me suis autorisée à faire quelques coupures. N'hésitez pas à le lire en entier, il est bouleversant... Bonne découverte !

 

Melancholia

 

Écoutez. Une femme au profil décharné,
Maigre, blême, portant un enfant étonné,
Est là qui se lamente au milieu de la rue.
La foule, pour l'entendre, autour d'elle se rue.
Elle accuse quelqu'un, une autre femme, ou bien
Son mari. Ses enfants ont faim. Elle n'a rien.
Pas d'argent. Pas de pain. A peine un lit de paille.
L'homme est au cabaret pendant qu'elle travaille.
Elle pleure, et s'en va. Quand ce spectre a passé,
Ô penseurs, au milieu de ce groupe amassé,
Qui vient de voir le fond d'un cœur qui se déchire,
Qu'entendez-vous toujours ? Un long éclat de rire.

Cette fille au doux front a cru peut-être, un jour,
Avoir droit au bonheur, à la joie, à l'amour.
Mais elle est seule, elle est sans parents, pauvre fille !
Seule ! — N'importe ! elle a du courage, une aiguille,
Elle travaille, et peut gagner dans son réduit,
En travaillant le jour, en travaillant la nuit,
Un peu de pain, un gîte, une jupe de toile.
Le soir, elle regarde en rêvant quelque étoile,
Et chante au bord du toit tant que dure l'été.
Mais l'hiver vient. Il fait bien froid, en vérité,
Dans ce logis mal clos tout en haut de la rampe ;
Les jours sont courts, il faut allumer une lampe ;
L'huile est chère, le bois est cher, le pain est cher.
Ô jeunesse ! printemps ! aube ! en proie à l'hiver !
La faim passe bientôt sa griffe sous la porte,
Décroche un vieux manteau, saisit la montre, emporte
Les meubles, prend enfin quelque humble bague d'or ;
Tout est vendu ! L'enfant travaille et lutte encor ;
Elle est honnête ; mais elle a, quand elle veille,
La misère, démon, qui lui parle à l'oreille.
L'ouvrage manque, hélas ! cela se voit souvent.
Que devenir ! Un jour, ô jour sombre ! elle vend
La pauvre croix d'honneur de son vieux père, et pleure.
Elle tousse, elle a froid. Il faut donc qu'elle meure !
A dix-sept ans ! grand Dieu ! mais que faire ?... — Voilà
Ce qui fait qu'un matin la douce fille alla
Droit au gouffre, et qu'enfin, à présent, ce qui monte
À son front, ce n'est plus la pudeur, c'est la honte.
Hélas, et maintenant, deuil et pleurs éternels !
C'est fini. Les enfants, ces innocents cruels,
La suivent dans la rue avec des cris de joie.
Malheureuse ! elle traîne une robe de soie,
Elle chante, elle rit... ah ! pauvre âme aux abois !
Et le peuple sévère, avec sa grande voix,
Souffle qui courbe un homme et qui brise une femme,
Lui dit quand elle vient : « C'est toi ? Va-t-en, infâme !

 

[...]

 

Le pesant chariot porte une énorme pierre ;
Le limonier, suant du mors à la croupière,
Tire, et le roulier fouette, et le pavé glissant
Monte, et le cheval triste à le poitrail en sang.
Il tire, traîne, geint, tire encore et s'arrête.
Le fouet noir tourbillonne au-dessus de sa tête ;
C'est lundi ; l'homme hier buvait aux Porcherons
Un vin plein de fureur, de cris et de jurons ;
Oh ! quelle est donc la loi formidable qui livre
L'être à l'être, et la bête effarée à l'homme ivre !
L'animal éperdu ne peut plus faire un pas ;
Il sent l'ombre sur lui peser ; il ne sait pas,
Sous le bloc qui l'écrase et le fouet qui l'assomme,
Ce que lui veut la pierre et ce que lui veut l'homme.
Et le roulier n'est plus qu'un orage de coups
Tombant sur ce forçat qui traîne les licous,
Qui souffre et ne connaît ni repos ni dimanche.
Si la corde se casse, il frappe avec le pied ;
Et le cheval, tremblant, hagard, estropié,
Baisse son cou lugubre et sa tête égarée ;
On entend, sous les coups de la botte ferrée,
Sonner le ventre nu du pauvre être muet ;
Il râle ; tout à l'heure encore il remuait,
Mais il ne bouge plus, et sa force est finie.
Et les coups furieux pleuvent ; son agonie
Tente un dernier effort ; son pied fait un écart,
Il tombe, et le voilà brisé sous le brancard ;
Et, dans l'ombre, pendant que son bourreau redouble,
Il regarde quelqu'un de sa prunelle trouble ;
Et l'on voit lentement s'éteindre, humble et terni,
Son œil plein des stupeurs sombres de l'infini,
Où luit vaguement l'âme effrayante des choses.

Hélas !

[...]

 

Les carrefours sont pleins de chocs et de combats.
Les multitudes vont et viennent dans les rues.
Foules ! sillons creusés par ces mornes charrues,
Nuit, douleur, deuil ! champ triste où souvent a germé
Un épi qui fait peur à ceux qui l'ont semé !
Vie et mort ! onde où l'hydre à l'infini s'enlace !
Peuple océan jetant l'écume populace !
Là sont tous les chaos et toutes les grandeurs ;
Là, fauve, avec ses maux, ses horreurs, ses laideurs,
Ses larves, désespoirs, haines, désirs, souffrances,
Qu'on distingue à travers de vagues transparences,
Ses rudes appétits, redoutables aimants,
Ses prostitutions, ses avilissements,
Et la fatalité des mœurs imperdables,
La misère épaissit ses couches formidables.
Les malheureux sont là, dans le malheur reclus.
L'indigence, flux noir, l'ignorance, reflux,
Montent, marée affreuse, et parmi les décombres,
Roulent l'obscur filet des pénalités sombres.
Le besoin fuit le mal qui le tente et le suit,
Et l'homme cherche l'homme à tâtons ; il fait nuit ;
Les petits enfants nus tendent leurs mains funèbres ;
Le crime, antre béant, s'ouvre dans ces ténèbres ;
Le vent secoue et pousse, en ses froids tourbillons,
Les âmes en lambeaux dans les corps en haillons ;
Pas de cœur où ne croisse une aveugle chimère.
Qui grince des dents ? L'homme. Et qui pleure ? La mère.
Qui sanglote ? La vierge aux yeux hagards et doux.
Qui dit :  J'ai froid ? L'aïeule. Et qui dit : J'ai faim ? Tous !
Et le fond est horreur, et la surface est joie.
Au-dessus de la faim, le festin qui flamboie,
Et sur le pâle amas des cris et des douleurs,
Les chansons et le rire et les chapeaux de fleurs !
Ceux-là sont les heureux. Ils n'ont qu'une pensée :
A quel néant jeter la journée insensée ?
Chiens, voitures, chevaux ! cendre au reflet vermeil !
Poussière dont les grains semblent d'or au soleil !
Leur vie est aux plaisirs sans fin, sans but, sans trêve,
Et se passe à tâcher d'oublier dans un rêve
L'enfer au-dessous d'eux et le ciel au-dessus.
Quand on voile Lazare, on efface Jésus.
Ils ne regardent pas dans les ombres moroses.
Ils n'admettent que l'air tout parfumé de roses,
La volupté, l'orgueil, l'ivresse et le laquais
Ce spectre galonné du pauvre, à leurs banquets.
Les fleurs couvrent les seins et débordent des vases.
Le bal, tout frissonnant de souffles et d'extases,
Rayonne, étourdissant ce qui s'évanouit ;
Éden étrange fait de lumière et de nuit.
Les lustres aux plafonds laissent pendre leurs flammes,
Et semblent la racine ardente et pleine d'âmes
De quelque arbre céleste épanoui plus haut.
Noir paradis dansant sur l'immense cachot !
Ils savourent, ravis, l'éblouissement sombre
Des beautés, des splendeurs, des quadrilles sans nombre,
Des couples, des amours, des yeux bleus, des yeux noirs.
Les valses, visions, passent dans les miroirs.
Parfois, comme aux forêts la fuite des cavales,
Les galops effrénés courent ; par intervalles,
Le bal reprend haleine ; on s'interrompt, on fuit,
On erre, deux à deux, sous les arbres sans bruit ;
Puis, folle, et rappelant les ombres éloignées,
La musique, jetant les notes à poignées,
Revient, et les regards s'allument, et l'archet,
Bondissant, ressaisit la foule qui marchait.
Ô délire ! et d'encens et de bruit enivrées,
L'heure emporte en riant les rapides soirées,
Et les nuits et les jours, feuilles mortes des cieux.
D'autres, toute la nuit, roulent les dés joyeux,
Ou bien, âpre, et mêlant les cartes qu'ils caressent,
Où des spectres riants ou sanglants apparaissent,
Leur soif de l'or, penchée autour d'un tapis vert,
Jusqu'à ce qu'au volet le jour bâille entr'ouvert,
Poursuit le pharaon, le lansquenet ou l'hombre ;
Et, pendant qu'on gémit et qu'on frémit dans l'ombre,
Pendant que les greniers grelottent sous les toits,
Que les fleuves, passants pleins de lugubres voix,
Heurtent aux grands quais blancs les glaçons qu'ils charrient,
Tous ces hommes contents de vivre, boivent, rient,
Chantent ; et, par moments, on voit, au-dessus d'eux
Deux poteaux soutenant un triangle hideux
Qui sortent lentement du noir pavé des villes... —

Ô forêts ! bois profonds ! solitudes ! asiles !
                                   Paris, juillet 1838.

 

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15 mars 2017 3 15 /03 /mars /2017 01:43

Que de beautés dans ce texte ! Une magnifique déclaration débordante de mélancolie, de tristesse mais remplie de tellement d'amour ! Vous ne pouvez pas passer à côté de ce chef d'oeuvre, vous ne devez que le lire en entier et le savourer à sa juste valeur.

Bonne évasion au pays des sentiments purs et sincères.

 

 

XXV

Je respire où tu palpites,
Tu sais ; à quoi bon, hélas !
Rester là si tu me quittes,
Et vivre si tu t'en vas ?

A quoi bon vivre, étant l'ombre
De cet ange qui s'enfuit ?
A quoi bon, sous le ciel sombre,
N'être plus que de la nuit ?

Je suis la fleur des murailles,
Dont avril est le seul bien.
Il suffit que tu t'en ailles
Pour qu'il ne reste plus rien.

Tu m'entoures d'auréoles ;
Te voir est mon seul souci.
Il suffit que tu t'envoles
Pour que je m'envole aussi.

Si tu pars, mon front se penche ;
Mon âme au ciel, son berceau,
Fuira, car dans ta main blanche
Tu tiens ce sauvage oiseau.

Que veux-tu que je devienne,
Si je n'entends plus ton pas ?
Est-ce ta vie ou la mienne
Qui s'en va ? Je ne sais pas.

Quand mon courage succombe,
J'en reprends dans ton coeur pur ;
Je suis comme la colombe
Qui vient boire au lac d'azur.

L'amour fait comprendre à l'âme
L'univers, sombre et béni ;
Et cette petite flamme
Seule éclaire l'infini.

Sans toi, toute la nature
N'est plus qu'un cachot fermé,
Où je vais à l'aventure,
Pâle et n'étant plus aimé.

Sans toi, tout s'effeuille et tombe,
L'ombre emplit mon noir sourcil,
Une fête est une tombe,
La patrie est un exil.

Je t'implore et te réclame ;
Ne fuis pas loin de mes maux,
O fauvette de mon âme
Qui chantes dans mes rameaux !

De quoi puis-je avoir envie,
De quoi puis-je avoir effroi,
Que ferai-je de la vie,
Si tu n'es plus près de moi ?

Tu portes dans la lumière,
Tu portes dans les buissons,
Sur une aile ma prière,
Et sur l'autre mes chansons.

Que dirai-je aux champs que voile
L'inconsolable douleur ?
Que ferai-je de l'étoile ?
Que ferai-je de la fleur ?

Que dirai-je au bois morose
Qu'illuminait ta douceur ?
Que répondrai-je à la rose
Disant : Où donc est ma soeur?

J'en mourrai ; fuis, si tu l'oses.
A quoi bon, jours révolus !
Regarder toutes ces choses
Qu'elle ne regarde plus ?

Que ferai-je de la lyre,
De la vertu, du destin ?
Hélas ! et, sans ton sourire,
Que ferai-je du matin ?

Que ferai-je seul, farouche,
Sans toi, du jour et des cieux,
De mes baisers sans ta bouche,
Et de mes pleurs sans tes yeux !

                                   Août 18...

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15 février 2017 3 15 /02 /février /2017 19:31

Parce que les grandes gelées nous ont enfin quittés pour un temps et que je n'ai pas vraiment envie qu'elles reviennent parmi nous.... Bon dégel !

 

Après l'hiver

 

Tout revit, ma bien-aimée !
Le ciel gris perd sa pâleur ;
Quand la terre est embaumée,
Le coeur de l'homme est meilleur.

En haut, d'ou l'amour ruisselle,
En bas, où meurt la douleur,
La même immense étincelle
Allume l'astre et la fleur.

L'hiver fuit, saison d'alarmes,
Noir avril mystérieux
Où l'âpre sève des larmes
Coule, et du coeur monte aux yeux.

O douce désuétude
De souffrir et de pleurer !
Veux-tu, dans la solitude,
Nous mettre à nous adorer ?

La branche au soleil se dore
Et penche, pour l'abriter,
Ses boutons qui vont éclore
Sur l'oiseau qui va chanter.

L'aurore où nous nous aimâmes
Semble renaître à nos yeux ;
Et mai sourit dans nos âmes
Comme il sourit dans les cieux.

On entend rire, on voit luire
Tous les êtres tour à tour,
La nuit, les astres bruire,
Et les abeilles, le jour.

Et partout nos regards lisent,
Et, dans l'herbe et dans les nids,
De petites voix nous disent :
Les aimants sont les bénis !

L'air enivre ; tu reposes
A mon cou tes bras vainqueurs.
Sur les rosiers que de roses !
Que de soupirs dans nos coeurs !

Comme l'aube, tu me charmes ;
Ta bouche et tes yeux chéris
Ont, quand tu pleures, ses larmes,
Et ses perles quand tu ris.

La nature, soeur jumelle
D'Ève et d'Adam et du jour,
Nous aime, nous berce et mêle
Son mystère à notre amour.

Il suffit que tu paraisses
Pour que le ciel, t'adorant,
Te contemple ; et, nos caresses,
Toute l'ombre nous les rend !

Clartés et parfums nous-mêmes,
Nous baignons nos coeurs heureux
Dans les effluves suprêmes
Des éléments amoureux.

Et, sans qu'un souci t'oppresse,
Sans que ce soit mon tourment,
J'ai l'étoile pour maîtresse,
Le soleil est ton amant ;

Et nous donnons notre fièvre
Aux fleurs où nous appuyons
Nos bouches, et notre lèvre
Sent le baiser des rayons.

                                   Juin 18...

 

 

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