Qui l’aurait cru ? Comment aurais-je pu deviner ?
Des douleurs intestinales, j’en avais toujours eu et je savais les faire passer.
Et puis il y a quelques mois, c’en était trop. Les élancements étaient plus prononcés.
Sans grande conviction, j’allais voir le médecin familial pour un traitement approprié.
Quelle ne fut pas ma surprise, et ce ne fut que la première, lorsqu’il m’annonça qu’il serait prudent de faire des examens plus poussés.
Me voilà partie, avec une certaine appréhension, pour des IRM et des scanners, des prises de sang, des radiographies qui s’éternisaient.
Le temps passe, il est long quand on attend, les minutes semblent des heures, des jours paraissent des semaines et un mois s’est écoulé.
Pendant cette période, on fait les cents pas, on tergiverse, on s’inquiète puis on se raisonne, on imagine le pire puis on se dit que ça ne sert à rien de s’angoisser.
Mais le couperet tombe, celui que je n’avais osé imaginer.
Ma mâchoire inférieure se relâche subitement, j’ai les yeux écarquillés,
Et mon pauvre petit cœur bat une chamade désarticulée.
Ce n’est pas possible ! Ils se sont trompés !
Pourquoi suis-je une cible ? L’ai-je vraiment cherché ?
Le cancer des poumons pour les fumeurs, le cancer du foie pour les buveurs mais je ne suis ni l’un, ni l’autre, j’ai toujours fait attention à ma santé.
Nom de Dieu ! Où est la justice dans tout ce chaos démesuré ?
Mes pauvres yeux ! Vous n’avez pas fini de larmoyer !
M’y suis-je pris trop tard ? Assurément, il ne faut pas le nier.
Est-ce un cauchemar ? Malheureusement non, il faut l’accepter.
L’oncologue me propose un traitement autre que la chimiothérapie car je suis trop âgée.
Je lui demande vainement si je ne suis pas déjà condamnée, si les dés ne sont pas jetés.
Il m’assure qu’il ne tenterait pas cela s’il n’en attendait aucun effet.
Il me rassure alors j’opte pour ce choix qui me fait à nouveau espérer.
Je ne perds ni mes cheveux, ni mes sourcils, je conserve ma pilosité.
A l’extérieur, les gens me regardent normalement, l’honneur est conservé.
Je ne veux pas que des étrangers sachent ce qui sur moi est tombé,
Je refuse leur gentillesse exacerbée, leur regard compatissant, leur pitié.
Je n’ai pas besoin qu’on me traite différemment, je suis toujours moi-même, vous le voyez,
Tout doit redevenir comme avant, je suis entourée de gens qui m’aiment et je vais gagner.
Pourquoi te laisserais-je, toi, poison subtil, vicieux, insoupçonné,
Te goinfrer de mes cellules pour encore et toujours te propager ?
Tu ne sais pas à qui tu as affaire, j’ai vécu pendant la guerre, sale enfoiré !
Sept fois j’ai accouché, la douleur ça me connaît mais jamais ça ne m’effraie !
Petite vermine insidieuse, tu me fais mal, je dois l’avouer.
Le traitement, quant à lui, est supportable, assez discret.
Pourtant ce qui est abominable, ce sont ces nausées !
A peine installée à table, j’ai le cœur retourné,
Des odeurs exécrables s’évaporent de mes mets préférés,
C’est inéluctable, je me force à quelques fourchettées
Avant que les hauts le cœur ne viennent tout arrêter.
Mon estomac se rétrécit, je n’ai plus de plaisir à manger,
J’ai moins d’énergie pour prendre soin de ma maison, me déplacer,
Je n’ai plus d’envies pour me distraire, m’occuper, me changer les idées.
Les semaines et les mois passent, mais tu es toujours là à t’accrocher,
Je suis de plus en plus lasse, alors que tu ne cesses de progresser.
Elle te plaît tellement cette place dans mon ventre tout gonflé ;
Ce n’est qu’une des traces que tu commences à m’infliger.
Mon teint devient plus terne, ma peau se relâche, ma joie de vivre disparaît,
D’un point de vue externe, c’est ce qui me fâche, ce n’est plus mon reflet,
D’un point de vue interne, perfide, tu te caches pour davantage te propager.
Je suis si faible, si maigre que le traitement est momentanément stoppé,
Je deviens acerbe, aigre, j’ai l’impression que le tour est immanquablement joué.
Les séjours à l’hôpital se multiplient pour me requinquer,
Mais trop grand est le mal qui mûrit pour me dévaster.
Je me sens si inutile, si minuscule, comment pourrais-je encore t’affronter ?
Toi, perfide et vil, mon crépuscule qui finira tôt ou tard par m’emporter.
Sache que je te maudis de plus profond de mon être décharné,
Je te crache au front cette puanteur qu’en moi tu as semée,
Tu n’avais pas le droit de faire de moi cette marionnette brisée,
Tu brûleras en Enfer comme tu as pourri mes entrailles à petites flambées,
Ecoute ma colère qui surgit et qui braille sans pouvoir se calmer,
Je suis le tonnerre, l’orage et la foudre qui veulent te voir crever,
Tu es le Cerbère, la rage et la soude qui vont me gangrener.
En ces temps tragiques où le souffle me fuit, où mes muscles m’ont abandonnée,
J’ai une supplique, pour toi mon ennemi, à formuler dans le plus grand secret.
Par ta faute, je suis devenue le bébé de mes enfants regroupés,
Je ne suis rien d’autre qu’un poids mort à langer et à laver,
Je n’ai plus la force d’ouvrir les yeux, de parler, de respirer,
Mon âme n’a plus qu’un seul vœu, laisser ma famille en paix.
Elle ne doit plus vivre ce calvaire qui s’est trop éternisé,
Je veux leur laisser une image de mère qui les a tant aimés,
Et non d’une femme qui a souffert et que tu as humiliée.
Emmène-moi tout de suite, maintenant, je te laisse gagner,
Je suis prête à affronter les vents, à m’envoler,
Mon corps n’est plus moi, c’est une enveloppe délabrée,
Ma raison est encore là, laisse-là vers les cieux s’évaporer.
Voilà c’est l’heure, mon cœur a cessé de battre, mes poumons de respirer,
Sans douleur, le cancer a fini par m’abattre, il a tout emporté.
Ma seule gloire, avec du recul, maintenant que je suis apaisée,
C’est de savoir qu’il est ridicule, lamentablement mort à mes côtés.
A toi, ma grand-mère, ma p’tite mems, ma mémone, qui a toujours été dévouée à son mari, à ses 7 enfants, ses 18 petits-enfants et ses 5 arrières petits-enfants. Ton départ laisse un grand vide dans nos cœurs, je te l’assure.
Il était si pénible, si insoutenable de te voir souffrir et dépérir de cette façon que je me devais de te venger par ce biais. C’est ta douleur, notre tristesse et ma colère qui m’ont fait écrire de la sorte, un dernier hommage pour toi qui a toujours été là pour moi…
Quant au droit à l’euthanasie, je le défends encore davantage. Comment peut-on laisser n’importe quelle personne dépérir de la sorte ! C’est inhumain ! Elle aurait voulu partir avec l’intégrité de tout son être, avec sa raison sereine, elle avait tellement honte qu’on la voie ainsi.
Laissons donc nos proches nous quitter avec toute leur dignité !
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